02 mai 2023Himalaya, Alpinisme, Seven Summits, Quatorze 8000
Le toit du monde

L’expédition de 1938 a été la dernière menée par les Britanniques sur la face nord de l’Everest. La conquête des pôles leur a échappé. Les Français, adversaires de toujours, leur ont ravi le premier 8 000. Il suffit. Il leur faut gravir l’Everest. Expeditions Unlimited et Didier Mille vous content, avec plaisir, ce second volet de la saga de la première ascension du toit du monde.
 

1947-1953 : La course finale

Tensing Norgay : « Il est impossible d’atteindre l’Everest par le Népal »

Juillet 1947 : Expédition suisse au Kedar Dome (6 940 m), dans l’Himalaya du Garwhal. Ils engagent comme porteur Tensing Norgay. Suite à un accident du Sirdar (chef des porteurs) en titre, André Roch leader du groupe, n’hésite pas à confier à Tensing ce rôle essentiel. Le 11 juillet, aux côtés d’André Roch, Tensing réussit son premier sommet dans l’Himalaya. Journée mémorable : il gagne ses galons pour l’Everest.

Tensing Norgay détient un record. Quatre participations successives à l’Everest versant nord. Trois d’envergure, une clandestine. Au printemps 1949, avec un Canadien obstiné, Earl Denman, ils atteignent péniblement les pentes inférieures du col Nord.

Tensing envoie ensuite un dernier courrier à Denman où il résume l’esprit de l’époque « Il y a une route pour l’Everest. C’est la route du Tibet. Par le Népal, (…) la piste serait trop raide et trop étroite. Il est impossible d’atteindre l’Everest par le Népal. »

La même année, le premier ministre népalais autorise timidement une première petite exploration britannique. La vallée du Langtang, proche de Kathmandu en sera le théâtre. Quinze kilomètres au nord du Langtang se dresse le massif du Gosainthan ou Shishapangma (8 027 m). Le plus petit des 8 000, pas encore cartographié.

L’infatigable Bill Tillman ne peut manquer cette occasion rêvée. Peter Lloyd, compagnon de cordée de la tentative de 1938 à l’Everest, le suit. Tensing Norgay, de retour de l’Everest avec Denman, obtient le rôle de Sirdar. De semaine en semaine, pendant la mousson, ils arpentent tous les cols et les glaciers de la haute vallée du Langtang. Morceau de choix, la traversée du Tilman’s pass, reliant le Langtang au Jugal Himal reste aujourd’hui un trekking d’envergure, réalisé dans le cadre de notre Grande Traversée du Népal.

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Vue sur le mont Shishapangma depuis la vallée de Langtang

1950 : le versant sud dévoilé

Révolution de palais à Kathmandu, fin de la dynastie des Rânas. Le nouveau gouvernement, inquiet des évènements au Tibet, ouvre grand ses portes aux occidentaux. Les Français obtiennent l’autorisation de partir vers le Dhaulagiri (ils finiront, le 3 juin 1950, par gravir l’Annapurna). Les Britanniques se précipitent vers le versant sud de l’Everest, énigmatique, connu par les seules observations de Mallory, au Lho La, en 1921.

Le 29 octobre, avec de nouveaux compagnons, Bill Tilman quitte Jogbani à la frontière indienne, direction le Khumbu, alors Terra Incognita. À ses côtés, le docteur Charles Houston (vainqueur avec lui de la Nanda Devi en 1936), son père Oscar (le financier de l’opération) et deux amis : Anderson Bakewell, jésuite de son état et… Betsy Cowles. Pour Tilman, une irritante présence féminine !

En venant du sud, ils empruntent un itinéraire aujourd’hui délaissé (en raison de l’accès par l’altiport de Lukla), le long de la rivière Arun et atteignent Namche Bazar le 14 novembre : La Mecque pour Tilman. À peine une trentaine d’habitations aux façades blanchies à la chaux.

Au monastère de Tengboche, Tilman et Charles Houston continuent seuls. Leurs trois compagnons restent auprès des lamas. L’Everest se cache dans les nuages.

Enfin ils parviennent à un point d’où ils peuvent voir la partie inférieure de la célèbre cascade de glace du Khumbu. Ils gravissent le Kala Patthar pour obtenir une vue dégagée. Mais le sommet de la cascade de glace, dissimulé par le Nuptse, échappe à leurs regards, de même que le col Sud. Ils en sont réduits aux conjectures. Tilman, au vue de la raideur de l’arête sud, doute même que l’Everest puisse être gravi par ce versant, rejoignant le point de vue de Mallory après son passage au Lho La en 1921.

Conclusion : il faut une reconnaissance supplémentaire, pour tenter d’accéder à la combe Ouest et lever les doutes.

Khumbu chute de glace
Chute de glace dans le Khumbu

 

Reconnaissance de 1951 : les Britanniques trouvent la voie

En 1951, au grand dam des Britanniques, les Népalais établissent un « tour de rôle » pour accéder à l’Everest : Britanniques 1951, Suisses 1952, à nouveau les Britanniques en 1953, Français en 1954, et encore les Suisses pour 1955. 

Eric Shipton se voit confier la direction l’expédition de reconnaissance de 1951. Quatre Britanniques et deux Néo-Zélandais, dont Edmund Hillary y participent. Avec pour Sirdar, le légendaire Ang Tharkay. Étonnamment, Tensing Norgay ne fait pas partie de l’équipe.

Suite aux observations de Tilman, Shipton fixe à 30 % les chances de trouver un accès au sommet de l’Everest par le versant sud. Mais l’idée d’explorer le Khumbu, le pays des Sherpas l’enthousiasme.

Le 22 septembre, toujours depuis Jogbani, ils atteignent Namche Bazar après une marche éprouvante dans la mousson, sous la morsure des sangsues. Ils montent à 6100 mètres d’altitude sur l’arête sud du Pumori (610 m plus haut que Tilman et Houston). Ils peuvent enfin voir le sommet de la cascade de glace du Khumbu, le col Sud entre le Lhotse et l’Everest et l’arête sud-est, clef de l’ascension. Reste la question majeure : comment franchir la redoutable barrière de séracs et atteindre la combe Ouest. Ils se lancent à l’attaque ; cheminent laborieusement au milieu du labyrinthe glacé. Arrivés près du sommet, une avalanche les contraint à faire demi-tour : Shipton ne veut pas prendre le risque d’un accident qui interromprait toute tentative ultérieure. Il y a trop de neige, ils décident de revenir plus tard et d’explorer le haut Khumbu.

Pendant trois semaines, ils traversent tous les grands cols aujourd’hui parcourus par les groupes de trekking. Le 28 octobre, les voilà de retour au pied du dédale glaciaire. Pas de chance. Dans les derniers mètres menant à la combe Ouest, une immense crevasse barre tout le glacier, infranchissable en l’état. Ils repartent, mais Shipton a l’intime conviction d’avoir identifié le bon itinéraire pour réussir.

Routes vers Everest
Routes vers le mont Everest

 

L’heure des Suisses a sonné

Printemps 1952 : avant la mousson

Du 13 mars au 11 juillet 1952, André Roch prend la tête de la première expédition suisse à l’Everest. Raymond Lambert, grimpeur émérite, y joue un rôle essentiel. Au groupe, va se joindre le désormais incontournable Tensing Norgay, cette fois non seulement en tant que Sirdar, mais aussi membre et grimpeur à part entière. Un Népalais à l’égal des « sahibs » : du jamais vu.

Départ de Kathmandu le 29 mars. Un long cheminement de rudes montées et descentes conduit à Lukla, puis Namche Bazar. Le 20 avril, installation du camp de base à Gorakshep. Le 25, ils abordent la remontée de la cascade de glace. En quatre jours, les voici au pied de la grande crevasse sommitale. Un homme averti en vaut deux. Eric Shipton leur ayant décrit le passage, ils sont prêts à l’affronter. Jean Jacques Asper, l’un des grimpeurs, descend dans la crevasse, atteint la lèvre opposée sur un pont de neige et après une difficile progression, prend enfin pied dans la combe Ouest. Le chemin vers le sommet vient de s’ouvrir.

Le 11 mai, le camp VI se dresse à 6 900 mètres, sous la face du Lhotse. Shipton avait conseillé de faire une longue traversée ascendante vers le col Sud. Ils choisissent un itinéraire beaucoup plus direct depuis le camp V, l’éperon des Genevois. Trop raide, il ne permet pas d’établir de camps intermédiaires. Ascension épuisante. Ils espéraient atteindre le col Sud en une journée depuis le camp V. Au final, ils doivent établir un bivouac improvisé aux deux tiers de la pente. Le 26 mai, ils prennent enfin pied au col Sud à 7 906 mètres, battu par des vents terribles. Tensing Norgay réalise trois navettes entre ce camp et le bivouac pour amener le matériel. Un véritable exploit ! Au matin du 27 mai, il repart avec Raymond Lambert dans l’espoir d’établir un camp de fortune plus haut sur l’arête sud-est. À 8 400 mètres d’altitude, bivouac dans une tente minuscule. Sans sac de couchage, sans réchaud, sans nourriture et avec une réserve d’oxygène très limitée. Le lendemain 28 mai, ils grimpent encore pendant cinq heures et demie pour atteindre, à bout de forces et d’oxygène, l’altitude de 8 600 mètres. Encore 150 mètres, ils pourraient fouler le sommet Sud et, pourquoi pas le sommet principal ? 

Suivre un destin tragique, analogue à celui de Mallory et Irvine, ou continuer à vivre ? Ils choisissent de redescendre. Tensing Norgay vient d’achever sa cinquième tentative.

Tensing Norgay
Tensing Norgay et Edmond Hillary

 

Automne 1952 : après la mousson

Du 28 août au 31 décembre 1952, les Genevois repartent au feu. Pour la première fois, après la mousson. Entre autres participants, Raymond Lambert bien sûr, mais surtout Tensing Norgay. Une profonde amitié commence à lier les deux hommes. Beau temps froid au camp de base. L’équipe remonte la combe Ouest. Malheureusement, dans les pentes sous le Lhotse, un bloc de glace dévale. Il tue un porteur et trois autres se blessent en lui portant secours. Néanmoins, le 19 novembre, le col Sud est atteint. La violence du vent et le froid redoutable de l’automne les contraignent, malheureusement, à l’abandon. Sixième tentative pour Tensing.

 

Expédition britannique de 1953 : 8 848 mètres, la persévérance enfin récompensée

8 600 mètres. Point ultime atteint par les Suisses. Les Anglais le savent : ils gagnent en 1953, ou ils perdent « leur » montagne. Shipton, malgré ses cinq expériences à l’Everest, jugé trop timoré parce que trop  puriste (il répugne à employer l’oxygène), se voit écarté du commandement suprême. John Hunt, alpiniste confirmé mais surtout brillant militaire, sachant organiser mais aussi galvaniser les hommes, lui est préféré. Dix hommes l’accompagnent. Le docteur Charles Evans et Thomas Bourdillon, une force de la nature, forment une cordée d’assaut. Edmund Hillary, dont la résistance et la ténacité ont impressionné Shipton en 1952 au Cho Oyu, et bien sûr, l’incontournable Tensing Norgay, Sirdar mais aussi grimpeur de pointe, forment l’autre cordée.

Equipe everest 1953
L'équipe britannique de l'expédition de 1953

La fin justifie les moyens. Toutes les ressources technologiques de l’époque sont mises à contribution. Chaussures spécialement conçues pour la haute altitude, sacs de couchage à double enveloppe, vêtements spécifiques, réchauds testés par la Royal Air Force, échelles d’aluminium pour franchir les crevasses. Mais surtout, deux types d’appareil à oxygène pesant respectivement 21 et 19 kilos. Et cette fois, on fera appel au précieux gaz même la nuit, pour dormir dans les camps d’altitude.

Hunt tire les leçons des échecs successifs de toutes les tentatives précédentes : les cordées ont échoué à atteindre le sommet, car parties de trop bas, de trop loin. Il faut pouvoir établir un camp très haut, le plus près possible du sommet Sud (8 750 m).

Le 28 mai 1953, le camp IX se dresse à 8 600 mètres d’altitude. Hillary et Tensing y dorment en utilisant l’oxygène. Au matin, à 6 h 30, départ dans un ciel pur et enfin sans vent. À 9 heures, ils débouchent au sommet Sud, gravi quelques jours plus tôt par la cordée Evans-Bourdillon partie, elle, du col Sud. Ils gravissent lentement, mais sans difficulté, l’arête sud-est en direction du sommet. À 8 780 mètres d’altitude, un passage rocheux d’une douzaine de mètres de haut, très raide, interrompt la progression : le « Hillary step ». Hillary, du haut de ses 1 mètre 90, entraîné depuis son plus jeune âge à porter de lourdes charges, donne ses dernières forces pour surmonter ce passage. Du IV à cette altitude, avec 20 kilos sur le dos !  

29  mai 1953, 11 h 30 : les deux hommes se dressent à la plus haute cime du monde. Le même jour, on sacre Elisabeth II reine d’Angleterre. Edmund Hillary lui offre le plus beau des cadeaux. À ses côtés, Tensing Norgay, vainqueur après sept tentatives, porte sur ses épaules toute la fierté de l’Asie. Le véritable héros de cette saga, ne serait-ce pas lui ?

Lire la première partie : La conquête de l'Everest : 50 ans pour atteindre le toit du monde - Partie 1

Hillary mont Everest 
Tensing Norgay et Edmond Hillary

Hillary mont Everest
Edmond Hillary au sommet de l'Everest

 

Gravir l'Everest :

 

Retour sur la conquête des montagnes des Seven Summits :

 

Bibliographie :

  • Gilles Modica, Everest, les conquérants(1852-1953), Ed Guérin
  • Tim Madge, Le derniers héros, Bill Tilman, Ed Guérin
  • Sir John Hunt, Victoire sur l’Everest, Ed poche Babel
  • Reinhold Messner, Pierre Mazeaud, Everest, trois récits mythiques : Avant-premières à l'Everest, Everest 78, Everest sans oxygène, Ed Arthaud

Et pour clôturer cette saga, nous vous partageons cet excellent documentaire sur l'ascension historique de l'Everest par Sir Edmund Hillary et Tenzing Norgay en 1953. Documents inédits filmés sur l'expédition et entretiens avec des membres survivants de l'équipe et des membres de l'équipe suisse rivale.

Sir Edmund Hillary : the race for Everest - 59 minutes