28 novembre 2023Himalaya, Alpinisme, Témoignages
Ascension sommet du Baruntse

Nous revenons sur le jour de sommet du Baruntse de Valentin, Dawa et Nurpu, le 30 octobre dernier. Après une aventure sportive et humaine de haut vol, notre équipe atteignait le sommet de ce 7000 népalais finalement encore peu couru. Seuls au camp de base, dans l’incertitude de la fenêtre météo, avec une bonne partie de l’arête non équipée, avec de nombreuses équipes qui ont fait demi-tour au Mera La ou ont passé leur chemin de l’ascension directement vers l’Amphu Lapsa, notre équipe a été récompensée de sa patience et de sa ténacité. La présence inattendue d’une petite cordée de Polonais a également rendu le sommet possible. Bienvenue dans leur Summit Day !

 

Réveils nocturnes et météo capricieuse

Coucher de soleil au C2 © Valentin Rakovsky
Coucher de soleil au C2 © Valentin Rakovsky


Bonsoir depuis le camp de base !

Vous l’avez peut-être suivi sur le traceur GPS, on est bien allés jusqu’en haut, mais vous avez peut-être aussi remarqué qu’on n’est pas du tout partis à l’heure prévue. On s’est bien réveillés à 1 heure du matin, mais quand Nurpu a ouvert l’entrée de la tente, on est tombé sur un ciel complètement bouché. Et à cette heure là, les rafales de vent faisaient se secouer la toile de la tente et nous envoyaient au visage le givre qui s’y trouvait. Conclusion : la météo ne permettait pas de partir. Je me suis réveillé une nouvelle fois à 2 heures et on n’avait pas bougé, on était en train de renoncer au sommet en dormant. 

Nouveau réveil à quasiment 5 heures, j’ai eu du mal à croire ma montre, qu’il soit si tard et qu’on n’ait même pas évoqué le fait qu’on laissait tomber. Cela faisait en fait une nuit bien longue (coucher à 18 heures !) et pas si mauvaise, une vraie nuit de « veille de course » (dans le vocabulaire de la montagne, une course désigne une ascension) quand on refait l’ascension 10 fois en rêve avant la vraie. Et cette fois, à 5 heures, ce sont des voix en langue sherpa qui nous réveillent : ce sont les deux renforts arrivés ce week-end au camp de base qui nous demandent ce qu’on fait. En bas, au C1, les Polonais ne sont pas non plus partis aussi tôt que prévu. Ils se sont bien réveillés à 23 h 30, mais ont attendu la fenêtre météo eux aussi. Qui est enfin là, le vent ne souffle plus, les nuages sont partis et le lever de soleil n’est pas dégueu.


Départ du camp 2

Dawa m’a demandé une dernière fois ce que je voulais qu’on fasse, malgré des conditions pas dingues, et le temps qu’on a déjà perdu à cause du vent, qui compromettent nos chances. J’ai répondu comme d’habitude : « on essaie d’aller le plus loin possible. Pas au sommet donc, mais ce qu’on peut ». À « pas au sommet » il a hoché la tête comme si c’était entendu. Après tant de retournements de situation, on allait donc se faire gâcher la tête pour quelques nuages pas prévus…

Le temps qu’on fasse bouillir de l’eau, qu’on prenne notre petit dej et qu’on s’équipe, il est déjà 6 heures. On quitte le camp 2 avec 3 h 30 de retard sur l’horaire prévu. Là-haut, les deux sherpas qui nous ont réveillés sont partis loin devant et prendront donc le rôle de fixeurs, chargés d’équiper les passages les plus exposés ou techniques. Les Polonais ont une heure d’avance sur nous, alors qu’on était censés se rejoindre. 

Départ pour le summit push © Valentin Rakovsky
Départ pour le summit push © Valentin Rakovsky

 

Le manque d'oxygène

Les 400 premiers mètres de dénivelé sont les plus simples sur les 700 à monter aujourd’hui. C’est juste une pente de neige large à remonter, avant de prendre pied sur la fameuse arête. Mais ça se redresse assez vite, un premier passage raide (environ 50 degrés) puis une pente monotone à à peu près 45, interminable. Je découvre les effets du manque d’oxygène à une telle altitude. On n’a plus aucun repère sur son rythme de marche et de souffle, n’importe quoi met hors d’haleine. J’arrive à calmer ma respiration et à prendre des grandes bouffées d’air, mais les jambes ne suivent pas. Je me souviens avoir compté faire 30 pas de suite sans m’arrêter, et d’avoir trouvé ça écœurant comme si je poussais trop loin.

Les distances sont fausses : une personne 15 mètres au-dessus de soi a en fait plusieurs minutes d’avance. C’est comme ça qu’on a vu se rapprocher, très lentement, Lukas puis Boris. Lukas (dont on rappelle qu’il est guide de haute montagne et le seul client de nous trois à avoir déjà passé 7000 mètres) n’avait pas l’air en grande forme. On a partagé une pause, une vraie, où on s’assoit par terre et où on boit une tasse de thé, avec Boris vers 8 h 10-15. C’était juste avant le début des choses sérieuses. Dawa indiquait d’ailleurs qu’on arrivait au bout des cordes fixes posées par l’équipe de fixeurs en début de saison. Et donc notre supposé demi-tour.

Boris et moi avons eu un échange sur les effets du manque d’oxygène. J’ai dit que, bien sûr, tout le monde en parle tout le temps, mais c’est impossible à comprendre sans l’avoir subi. Boris répond qu’il a du mal à inspirer jusqu’au bout, comme si l’air ne rentrait pas, qu’il ne pouvait pas prendre de grandes bouffées. Ça ne collait pas trop avec mes impressions, puisque moi, j’y arrivais. Ça m’a un peu rassuré sur mon état. Et surtout, on est repartis très vite, laissant Boris et Lukas à leur pause, Dawa m’annonçant qu’on était en train de tenter le sommet. Nurpu est parti loin devant avec deux des sherpas des Polonais pour les aider à équiper les passages exposés. On allait donc les suivre, potentiellement jusqu’en haut. Savoir qu’on joue la gagne et qu’il « y a plus qu’à », le genre de nouvelle qui donne des ailes. 

L'équipe polonaise sur la crête © Valentin Rakovsky
L'équipe polonaise sur la crête © Valentin Rakovsky

 

L'arête sommitale : un passage clé

J’ai l’impression d’être allé beaucoup plus vite à partir de ce moment là. De 6850 à 7000m, c’est le passage clé de la voie : une succession de petites corniches et d’arêtes très effilées. Le vide plonge de 1500m minimum de chaque côté, les petits morceaux de neige qu’on fait tomber en marchant roulent quelques mètres en-dessous de nous puis disparaissent dans l’à-pic. Tous les destinataires de ce mail m’ont déjà manifesté leur horreur pour ce genre de choses, en particulier Alexis que j’ai déjà emmené sur des ascensions de ce profil « sur le fil », aux Miage ou à l’Index.

De mon côté, les arêtes ont plutôt ma préférence, c’est un peu aussi pour ce passage que j’ai choisi le Baruntse : c’est le genre d’itinéraire assez pur, en blanc et bleu entre le sol et le ciel, qui demande beaucoup de concentration et de sang-froid sur le moment. C’est surtout le type d’ascension très engagé (pas d’échappatoire, les conséquences d’un problème sont très graves s’il se produit), mais très peu risqué (un problème a très peu de chances de se produire) puisque contrairement à une face ou un couloir, il n’y a ni avalanche ni chute de pierres sur une arête, par définition on n’a rien au-dessus de soi. Les risques objectifs sont donc faibles, et quant aux risques subjectifs, comme l’équipe de fixeurs venait de poser des amarrages, même si je glissais je ne serais pas allé bien loin. Exigeant/engagé mais peu dangereux, c’est normalement ça qu’on est censé rechercher en montagne.

En tout cas, les images de chemin sur les ourlets de l’arête sont magnifiques, comme sur les posters de Montagne en scène. J’étais très concentré, bien plus en jambes que pendant l’heure précédente (ou alors j’ai oublié de penser à l’altitude) et j’avais de bons appuis, pas un pas de travers. J’ai même pu m’arrêter, prendre des photos, me retourner, regarder en bas… J’ai trouvé ça moins dur qu’une ascension que j’avais faite il y a deux ans avec mon guide Clément à Chamonix, pour une hauteur de vide équivalente, mais sur une arête bien plus étroite, en marchant sur le fil et en devant faire la trace (personne n’était passé avant et dont on aurait pu marcher dans les traces de pas). Je me souviens qu’à un moment, sur le chemin du retour, j’avais demandé à Clément si on pouvait arrêter de parler pour me concentrer sur mes pieds.

Vue sur l'arrête, vers l'Ouest © Valentin Ravovsky
Vue sur l'arrête, vers l'ouest © Valentin Ravovsky

 

Au sommet du Baruntse !

Passé ce passage clé très esthétique, il restait une pente un peu raide et bien large (on n’a même plus pris la peine de s’encorder et les fixeurs n’ont même plus posé de corde), 100 mètres de haut. Et là, jambes coupées, le contrecoup du passage précédent j’imagine, où j’ai relâché la pression trop tôt. Boris et Lukas, qui avaient quasiment une demi-heure de retard, sont arrivés quasiment au bout en même temps que moi, en particulier Lukas qui semble avoir eu un second souffle. Après coup, il m’a avoué que pendant les 300 premiers mètres, il croyait que ça n’allait pas le faire. Alors que Boris a fait la même confidence au sujet des 100 derniers mètres. Je le rejoins plutôt, je n’avais plus aucune force à ce moment-là, malgré les encouragements de Dawa (« one last push and Summit ! »). 

Après un dernier raidillon, on est enfin arrivés sur l’arête sommitale vers 13 heures, une crête bien large où on a pu prendre des photos dans tous les sens. À ce propos, j’en ai une avec le drapeau luxembourgeois. Papa, tu peux prévenir Said Kerrou 😂 ! Reste à faire homologuer cette grande première nationale, puisque mon permis d’ascension a été obtenu avec mon passeport français… je suppose que je pourrai négocier ça à Namche Bazar au retour. 

Valentin et Dawa au sommet © Valentin Rakovsky
Valentin et Dawa au sommet © Valentin Rakovsky

C’était la fin de la fenêtre météo promise par Yan, les nuages nous barraient toute la vue vers l’ouest et le nord et arrivaient au-dessus de nous. Ça veut dire pas d’Everest sur les photos, mais il nous restait la pyramide noire du Makalu (8485 m) juste derrière nous, et c’est bien plus joli. « One crowded hour of a glorious life » comme disait Whymper en arrivant en haut du Cervin. 

On était donc 8 en haut, les premiers à atteindre la cime du Baruntse cette saison sur une cinquantaine de permis octroyés, les environ 645e à atteindre le sommet en tout (20 fois moins que l’Everest), et seulement le troisième groupe à réussir l’ascension depuis la réouverture du Népal post-Covid. Il ne reste plus que 3-4 candidats de l’année : Andrej, le 3e polonais, Fritz, au camp de base qui n’a pas l’air super en forme et un duo de Français du pays basque qui dort au C1 ce soir et tentera le sommet jeudi à la faveur d’une demi-fenêtre météo, mais aussi des équipements que nos sherpas ont laissés en place.


Le groupe au sommet © Valentin Rakovsky
 

Redescente jusqu'au camp de base

J’ai bien moins d’images de la descente. On était pris dans les nuages, on ne voyait parfois pas bien loin devant nous, il a neigé par moments donc on a juste essayé de se dépêcher, en s’affalant de tout notre poids à chaque pas pour descendre plus vite sur les pentes larges, et en repassant sans trop réfléchir les passages sur le fil de l’arête. 

Descente sur l'arête © Valentin Ravkosky
Descente sur l'arête © Valentin Ravkosky

Les Polonais ont décidé de redormir au C1. Avec Dawa, on a privilégié la récupération la plus confortable possible en allant directement dormir au camp de base. Au C1, nos deux porteurs Tenzing et Tenjung nous ont retrouvés pour nous délester d’une partie de nos affaires. On a redescendu le couloir sous le C1 (avec 7-8 rappels sur cordes fixes), et on est redescendus sur le glacier vers le camp de base au coucher du soleil. Avec l’air qui se refroidit, les nuages sont retombés, le paysage était très beau et avait une ambiance d’après la bataille.

On a tracé avec les forces qui nous restaient, la perte d’altitude aidant. Et on a donc fait la dernière demi-heure à la lueur des lampes frontales, avec en point de mire une petite lampe à l’entrée de la cuisine du camp de base. Un chien avait probablement suivi les porteurs jusqu’au bas du couloir et est apparu un peu par surprise sur la dernière heure de la descente pour nous raccompagner au camp de base (un peu comme le chien de Pirates des Caraïbes qui surgit avec son trousseau de clés dans la bouche sans qu’on sache trop comment). 

Fin de cette journée interminable, quasiment 12 h 30 entre le départ du camp 2 et le retour au camp de base, en faisant finalement très peu de pauses et avec comme ressources un Snickers tendu par Dawa à mi-descente et un litre de thé – mais je n’en n’aurais probablement pas voulu plus, ma combinaison se prête assez peu à aller aux toilettes. D’ailleurs, comme je n’aime pas trop manger pendant l’effort, j’ai décliné plusieurs fois ce qu’on me proposait. J’ai tout compensé avec de la soupe, des spaghettis et des momos une fois rentré au camp de base…

Le chemin du retour © Valentin Rakovsky
Le chemin du retour © Valentin Rakovsky
 

Repos bien mérité

Ce n’était peut-être ni la plus longue ascension (pas sûr mais je pense avoir déjà atteint ou dépassé 12 h 30 dans les Alpes), et j’ai déjà fait plus technique ou subi plus dangereux en montagne, pas la plus effrayante non plus (par rapport à celle de juin à l’Aiguille d’Argentière, à cause du passif de l’Ucpa dessus), mais c’était évidemment mon ascension la plus haute, l’une des plus esthétiques et de loin la plus fatigante. Je ne me souviens pas m’être déjà retrouvé à bout de forces comme ça. Au moins, dans un marathon, quand on marche, on récupère. Là, même s’arrêter ne recharge pas vraiment les batteries. Je me suis même retrouvé à m’arrêter à bout de souffle en marchant un peu vite dans une descente… 

Maintenant, un jour de repos et de vacances demain, de débrief avec les Polonais, et on commencera ensuite le chemin du retour parfaitement dans les temps. Et d’ici trois jours, je crois que j’ai accès à Internet ! Maman et papa (ou n’importe qui d’autre d’ailleurs), si à ce moment là vous avez un moment en fin d’après midi pour qu’on s’appelle…


Valentin devant l'assemblée des sherpas © Valentin Rakovsky
 

Retrouvez ici live de l'expédition au Baruntse en intégralité.

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