09 juillet 2020Himalaya, Alpinisme, Quatorze 8000
Bill Tilman, explorateur de l'Himalaya

Harold William Tilman, plus connu sous le nom de Bill Tilman, occupe une place à part dans le Panthéon des himalayistes. De 1934 à 1950, malgré une interruption de huit longues années due à la seconde guerre mondiale, il parcourt presque tout l’arc himalayen, de l’Afghanistan à l’Everest. En 1936, à la Nanda Devi (7 816 m), il se couvre de gloire. Il réussit la première ascension du plus haut sommet de l’Himalaya indien, victoire obtenue sans avoir recours à l’oxygène. Adepte des expéditions ultra légères et des petits budgets, son exceptionnelle résistance et son ascétisme mettent à l’épreuve ses co-équipiers. Retour sur le parcours de cet alpiniste et explorateur mal connu des Français. 

“Une expédition qui ne peut s’organiser en usant du dos d’une enveloppe [de papier à lettres] doit inévitablement souffrir d’un excès d’organisation”… Cette boutade résume parfaitement la conception de Bill Tilman : une bonne expédition doit être la plus légère possible. 

 

Une adolescence sans histoire

Rien ne destine William Tilman à devenir alpiniste, explorateur de talent et enfin marin au long cours. Né en 1898 dans une famille de la classe moyenne britannique de l’époque, pur produit de l’Angleterre dirigée, jusqu’en 1901, par la reine Victoria, il reçoit une éducation stricte dans une école privée réputée. L’empire britannique domine le monde et l’avenir financier familial est assuré par le commerce lucratif du sucre. William Tilman se montre un enfant timide, plutôt studieux et épris de lecture. 

 

Le traumatisme de la première guerre mondiale

1916 : Bill vient tout juste d’avoir 18 ans. Patriote bien sûr, le voici artilleur dans la Somme. Presque trois longues années de conflit et deux blessures plus tard, libéré mais profondément marqué par la culpabilité d’être encore en vie, il rentre en avril 1919 au foyer familial. 

Que faire de sa vie ? Il a pris goût au danger, sait se contenter de vivre au jour le jour. La vie étriquée en Angleterre ne peut plus lui convenir. 

 

L’aventure africaine

Août 1919, le gouvernement britannique offre, aux soldats démobilisés, 25 hectares de terre en Afrique. L’Empire, déjà vacillant, a besoin de colons pour garder sa mainmise sur ses terres lointaines. Départ pour le Kenya. A 21 ans, Bill devient agriculteur, ou plutôt défricheur agraire. Quatre jours avec une charrette à bœufs pour rejoindre le plus proche village. Chaleur, maladie, désespoir exigent un combat permanent. Une autre guerre d’usure. Dix années de vie sédentaire, entrecoupées de quelques chasses mouvementées à l’éléphant et au rhinocéros. Pas de quoi satisfaire son énergie débordante. 

 

Tilman - Shipton : premiers pas ensemble

En 1930, alors âgé de 32 ans, Bill fait la connaissance d’un autre colon kenyan, Eric Shipton. De dix ans son cadet, déjà alpiniste expérimenté, Shipton veux gravir le Kilimandjaro (5 892 m). Ce qui allait devenir l’une des cordées les plus mythiques de l’histoire de la montagne, fait des débuts chaotiques. Victime du mal des montagnes, Bill contraint Eric à faire demi-tour avant d’avoir atteint le sommet. Le lendemain, ils atteignent le sommet du Mawenzi (5 149 m) sommet secondaire mais plus difficile techniquement. Shipton pense avoir trouvé le bon compagnon de cordée, Tilman sa vocation

Quelques mois plus tard, ils se retrouvent au pied du mont Kenya. L’année précédente, Shipton avait déjà gravi les deux sommets de la montagne, le Pic Batian (5 199 m) et le pic Nelion (5 188 m). Cette fois, il veut réaliser une traversée d’envergure pour relier les deux sommets. Ascension longue et éprouvante où Bill, malgré son inexpérience, fait preuve d’une grande détermination et d’une résistance sans faille. En 1932, une ultime expédition africaine les mène aux monts Ruwenzori, les mystérieux monts de la Lune (5 109 m au pic Stanley). Pour l’époque, la complexité de la marche d’approche, le manque de cartes fiables et le brouillard omniprésent, ajoutés à l'isolement absolu, forcent l’admiration. 

shipton et tilman
Le duo Eric Shipton et Bill Tilman

 

Lake district : tout aurait pu s’arrêter là

Afin de revoir sa famille, Bill rentre en Angleterre pour quelques semaines. Une ascension dans le Lake District (la Mecque des grimpeurs britanniques) se termine mal. Victime d’une chute avec ses deux compagnons de cordée, gravement blessé au dos, Bill rampe sur six kilomètres d’un terrain escarpé pour alerter les secours. Verdict médical : fini l’alpinisme ! Mais Bill Tilman n’est pas homme à renoncer si facilement. L’été suivant le voit réussir l’ascension, avec des guides, de nombreux sommets prestigieux des Alpes : Bans, Meije, Ecrins, aiguille du Tour, aiguille de l’M. Il perfectionne sa technique et acquiert l’expérience. Mais sa blessure le fera souffrir toute sa vie. 

 

Mont Kenya - Cameroun : 4 800 km en bicyclette

Retour au Kenya, cette fois comme… Chercheur d’or. Entreprise austère et peu lucrative qui le conduit à abandonner l’Afrique définitivement. Pas envie d’un énième trajet dans le bain de chaleur de la mer Rouge ; l’avion va trop vite. La bicyclette, ni trop lente ni assez rapide, promet une belle aventure. Départ le 14 septembre 1933, de Nairobi au Kenya. Lac Victoria, traversée de la forêt vierge du Congo belge, port de Douala au Cameroun (français en ce temps). 4 800 km en solitaire, avec pour tout bagage, son duvet et une moustiquaire. Et pas sur un VTT ! Un vieux et lourd vélo anglais fait l’affaire. Aux huttes infestées de tiques mises à sa disposition par les chefs locaux, malgré la présence peu rassurante des lions, il préfère le bivouac. Cinquante-six jours d’une traversée impensable aujourd’hui. 

 

L’aventure himalayenne : 1934, reconnaissance à la Nanda Devi

En 1931, Eric Shipton conquiert le Kamet (7 756 m), deuxième plus haut sommet indien, après la Nanda Devi, dans l’Himalaya du Garwhal. Fort de cette réussite, en 1933, il se voit selectionné pour participer à l'expédition britannique à l'Everest, menée par Hugh Ruttleedge. Lourde caravane, “armée monstrueuse qui envahissait les vallées pacifiques du Tibet”. Grands moyens, résultat nul. Pour Shipton, une expédition menée avec peu d’hommes mais déterminés, doit mieux faire. Non loin du Kamet, trône la Nanda Devi, inviolée, protégée par une muraille infranchissable haute de 5 500 m, formant un vaste cercle autour du “Sanctuaire”. Mais les gorges de la Rishi Ganga, 32 km d’un canyon réputé infranchissable, pourraient livrer accès à la montagne. Terra Incognitae, petits moyens, grosses difficultés. De quoi faire rêver Shipton et, bien sûr, son compère Tilman. 

Les deux occidentaux s’adjoignent trois Sherpas, dont le bientôt célèbre Ang Tharkay (Annapurna 1950) et quelques porteurs. Tilman découvre avec plaisir les nombreuses qualités des Sherpas : fiables, joyeux, endurants, travailleurs, jamais une plainte… Autant de qualités jugées par lui indispensables. Fin mai 1934, Ils partent pour cinq mois, dont trois en pleine mousson, avec pour toute nourriture d’appoint, venue d’Angleterre, “des biscuits, du fromage et du pemmican”. Ce mélange indigeste de graisse animale, de viande séchée et de baies ne moisit pas et se conserve de longs mois. 

La progression s’avère éprouvante, dans une neige souvent profonde. Suspendus sur d’improbables vires au-dessus de la gorge aux flots tumultueux, ils doivent gravir plusieurs escarpements, puis les redescendre sur le versant opposé. Neuf jours pendant lesquels les nerfs des Sherpas et des deux himalayistes sont mis à l’épreuve. Enfin, à la mi-juin, ils pénètrent dans le Sanctuaire. Il leur reste trois semaines de provisions. Ils campent au milieu d’une prairie couverte de fleurs : la récompense. L'ascension d’un sommet à 6 300 mètres offre une vue imprenable sur la Nanda Devi. Décision est prise de revenir à l’automne, après la mousson. Retour dans les gorges sous une pluie torrentielle. En septembre, les voici comme prévus au Sanctuaire et, cette fois, ils trouvent un itinéraire d’accès à la Nanda Devi, par l’arête sud. Le temps et l’équipement manquent. Ils reviendront. 

Nanda devi 1934
Nanda Devi face sud - 1934


Les jumeaux terribles

En 1935, Eric Shipton, toujours accompagné de Bill Tilman (on les surnomme les jumeaux terribles) et de quatre autres alpinistes, partent pour le Tibet. Direction l’Everest, pour une reconnaissance. Objectif : ramener de précieuses informations pour la grande expédition prévue en 1936. Leur groupe se compose de sept membres, trop aux yeux de Shipton et Tilman. Ce dernier supporte encore mal la très haute altitude et peine à suivre. Malgré tout, ils gravissent la bagatelle de vingt-six sommets de plus de 6 000 mètres ! 

 

1936, Nanda Devi, 7816 m : l’heure de gloire

1936 : Shipton repart à l’Everest. En raison de ses difficultés d’adaptation à la haute altitude, Tilman ne fait pas partie de l’équipe. Son heure de gloire s’approche néanmoins. Une équipe américaine envisage de gravir le Kangchenjunga, troisième plus haut sommet du globe, sur la frontière indo-népalaise. Ils invitent Tilman à se joindre à eux. Mais les autorités indiennes refusent de leur délivrer un permis. Tilman propose, comme alternative, la Nanda Devi. Malgré la mousson qui bat son plein, ils remontent les gorges maintenant familières de la Rishi Ganga. La défection d’une partie des porteurs entraîne le portage de lourdes charges de 30 kilos par personne. Le 7 août, après bien des péripéties, ils atteignent le Sanctuaire. Camp III le 21 août à 6 120 m d’altitude ; camp IV à 7 050 m le 25 août. Le 28, bivouac à 7 200 m pour Bill Tilman et Noël Odell. Sommet à 15h le 29 août 1936 pour les deux hommes, après avoir manqué de peu être emportés par une avalanche. Bill acquiert la célébrité. 

 

1937 : Karakoram, en terre inconnue

Situé dans les territoires du nord-ouest du Raj britannique, le Karakoram abrite 150 kilomètres d’une chaîne de montagnes alors quasi inexplorées. Un grand blanc sur la carte. De quoi exciter nos deux compères à nouveau réunis : Tillman et Shipton. Ils espèrent, entre autres, atteindre le “Snow Lake” (4 877 m) ainsi nommé en 1892 par l’explorateur britannique Martin Conway et déterminer s’il s’agit, ou pas, d’une calotte glaciaire. Accessoirement, ils pourraient rapporter des informations géo-politiquement utiles pour le Raj britannique. Petits moyens, grands résultats. Ils cartographient de nombreux cols du Karakoram, entre Shimshal et le K2 et parcourent le trek, aujourd’hui célèbre, de la traversée Biafo-Hispar, via le Snow Lake. 

 

1938 : retour à l’Everest

Alors qu’il a été écarté de l’expédition à l’Everest en 1936, sa victoire éclatante à la Nanda Devi et ses qualités supposées de “chef” opposées au côté brouillon de Shipton, valent à Tilman d’être choisi comme organisateur du prochain assaut au versant nord (Tibet) de l’Everest. Envisagé avec un petit budget et un nombre réduit de participants, le projet lui convient. Shipton, éternel compagnon, mais aussi Noël Odell, frère d’armes à la Nanda Devi, participent à cette nouvelle aventure. Des conditions météos difficiles avec d’importantes chutes de neige interrompent la progression. Le 10 juin, Bill atteint néanmoins son record personnel : 8 220 m sans oxygène. 

La seconde guerre mondiale, à laquelle Bill participe activement, met pendant huit ans un terme à ses activités alpines. Il se fait notamment parachuter en Albanie, derrière les lignes ennemies pour aider la résistance. Plus tard, il opère dans le nord de l’Italie. Depuis, dans les Dolomites, en souvenir de ses faits d’armes, une alta via (haute route) lui est dédiée. 

Tilman 1938
Bill Tilman (à droite) et deux autres alpinistes lors de l'expédition de 1938.

 

1947 : dernière campagne dans l’Hindu Kush

La fin de la guerre l’amène à nouveau à fuir l’Angleterre. Son obsession : retourner en Himalaya. Invité par des alpinistes Suisses, il part à nouveau pour le Karakoram. L’objectif : gravir le Rakaposhi (7 665 m), situé au-dessus de Gilgit. Mais le projet s’avère trop ambitieux pour la petite équipe ; ils doivent renoncer au sommet. Ce voyage va être le prélude à deux années de pérégrinations de Bill Tilman sur le territoire du “Grand Jeu”, confrontation géopolitique larvée entre l’Angleterre, la Russie et la Chine. Période trouble de Tilman, où il a fort probablement travaillé pour le compte des services de renseignements britanniques. Lors d’un contrôle en Afghanistan, il se fait passer pour Russe, donc soviétique. Lui et son guide se retrouvent emprisonnés. La méprise dissipée, les Afghans les libèrent. Il peut annoncer à ses supérieurs la bonne nouvelle : les Britanniques gardent les faveurs des Afghans. 

 

1949 : Népal, porte d’entrée pour la face sud de l’Everest

En 1949, le Népal ouvre timidement ses portes. Tilman obtient le permis pour réaliser une exploration complète du Langtang et du Ganesh Himal, escaladant avec succès le Paldor (5 835 m). De retour à Kathmandu, il obtient une nouvelle autorisation pour se rendre à l’Annapurna IV (7 406 m), au printemps 1950. Mais le mauvais temps met un terme à la tentative. 7 020 m pour Tilman le 19 juin. A l’automne, ultime coup de maître : il organise le premier “trek” vers le camp de base de l’Everest, versant sud. Il a le privilège d’être le premier occidental à atteindre Namche Bazar et à fouler la cime du Kala Patthar (5 643 m). De ce belvédère, il observe à loisir la célèbre “Khumbu Ice Fall", cette redoutable cascade de glace, véritable Sésame à franchir pour accéder à la face sud de l’Everest. Grâce à lui, la route de l’Everest, face sud, se dessine. 

Mais Bill a 52 ans. Ses difficultés d’acclimatation récurrentes et l’âge aidant, il comprend qu’il lui faut tourner la page de l'himalayisme et des grandes explorations. 

tilman lakhpa
Descente côté est depuis Lhakpa La, vue sur l'Everest © Bill Tilman
 

1953 à 1977 : marin au long cours

Découvrant tardivement le plaisir de la voile hauturière, il consacre les vingt-quatre dernières années de sa vie à la navigation dans les mers australes et boréales, cherchant à rallier de nombreuses îles pour gravir ensuite leur point culminant. Bon navigateur au grand large, mais piètre marin près des côtes, il subit trois naufrages. Ses équipiers, mal choisis, n’ont souvent aucune expérience de la voile et lui apportent peu de secours. En novembre 1977, dans l’idée de fêter ses 80 ans dans l’Antarctique, il part comme simple matelot sur le En Avant, un navire de bric et de broc, mené par un jeune skipper inexpérimenté. Ils doivent rallier les Malouines (iles Falkland du sud) et l’île Smith à l'extrémité de l’Antarctique. Le navire sombre probablement quelque part entre Rio de Janeiro et les Malouines, jamais atteintes. Pour recruter ses équipiers, Bill publiait des annonces typiques de son humour pince sans rire : “Équipier (masculin) pour long voyage sur petit bateau. Pas de salaire, pas de perspectives, pas beaucoup de plaisir.” Il disparaît comme il a vécu : discrètement, laissant des dizaines d’admirateurs éplorés.

Bill tilman
Bill Tilman sur le Patanela à Sydney in 1964.


Texte de Didier Mille.

 

Notre activité soeur Tamera Voyages d'aventure propose plusieurs treks et expéditions abordés dans cet article de blog, dont voici les liens :

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