06 avril 2021Himalaya, Alpinisme, Quatorze 8000
Camp de base du Makalu © Serge Bazin

« L’ascension du Makalu, une page heureuse dans l’histoire de l’Himalaya. » C’est par cette phrase lapidaire que Jean Franco, chef de l’expédition française au Makalu au printemps 1955, résume leur très belle victoire sur le cinquième plus haut sommet de la planète. Les « plus de 8 000 » précédemment gravis (Annapurna, Everest, Nanga Parbat, K2, Cho Oyu) ont vu trois participants, tout au plus, se dresser au sommet, grâce au soutien logistique de tous. Au Makalu, répartis sur trois journées successives, tous les grimpeurs, ainsi que le sirdar, soit neuf participants au total, ont foulé la cime d’un des géants de la terre. Succès dû tout autant à une préparation et à une acclimatation minutieuses, qu’à la réussite de la reconnaissance de 1954. Et à une chance exceptionnelle avec la météo. Nous retraçons pour vous cette aventure parfaite... Et en profitons pour vous présenter notre prochaine ascension du Makalu en avril 2022 guidée par Serge Bazin.

 

Après l’Annapurna, le Makalu

Makalu… Mahakala. La divinité du bouddhisme tantrique a probablement donné son nom à la montagne. Le dieu destructeur/protecteur portera chance aux Français. 

makala
Mahakala, avatar bouddhiste du dieu Shiva

Après la victoire remarquable à l’Annapurna en mai 1950, le Comité de l’Himalaya a le vent en poupe. L’objectif suivant sera l’Everest. Les autorités népalaises accordent les permis en priorité aux Suisses (1952), aux Britanniques (1953), et enfin aux Français, mais pour 1954. La victoire britannique leur coupe l’herbe sous le pied.

Le Makalu, superbement isolé, à peine approché par Eric Shipton et Edmund Hillary en 1951 à la suite de la tentative au Cho Oyu, et en 1952 lors de la reconnaissance à l’Everest, offre la possibilité d’une belle découverte, voire d’un nouveau coup d’éclat. Le permis Everest, accordé pour 1954, est transféré sur le Makalu. Mais pour l’automne ; deux permis ayant déjà été délivrés aux Néo-Zélandais et aux Américains pour le printemps. Une autorisation supplémentaire, délivrée aux Français pour le printemps 1955, leur accorde une seconde chance. Tant mieux, car au vu des connaissances de l'époque, en raison du froid extrême et du vent, une ascension automnale a peu de chances de réussir. Une reconnaissance sur les flancs de la montagne, à l’automne 1954, donne davantage d’atouts pour la tentative du printemps 1955. 

Dès ce moment, la chance accompagne les Français. 


Makalu, le pilier ouest. À gauche, le Makalu II ou Kangchungtse © Serge Bazin

 

Sir Edmund Hillary est hors jeu

Printemps 1954 : les Américains ouvrent le bal. Première tentative sérieuse d’ascension. Mais ils dirigent leurs pas vers la longue arête sud-est où le mauvais temps et d’abondantes chutes de neige les immobilisent à 7 150 mètres. Ils rentrent bredouilles.

Dans le même temps, les Néo-Zélandais, menés par Edmund Hillary (devenu Sir Edmund après la victoire à l’Everest), obtiennent la permission de s’attaquer au Baruntse et à ses satellites. Lors d’une reconnaissance, deux grimpeurs font une chute en crevasse. Un secours mouvementé s’ensuit, où Sir Hillary se brise trois côtes. En peu de temps, sa blessure évolue en une grave infection pulmonaire. Ses compagnons doivent l’évacuer dans de difficiles conditions. 

Le 29 mai et le 1er juin, George Lowe et Colin Todd, puis Geoff Harrow et Bill Heaven, atteignent le sommet du Baruntse. Depuis ce belvédère, ils observent le Makalu. Pour eux, le bon itinéraire passe par le versant nord-ouest. Il faut atteindre le Makalu La (7 400 m), le col situé sur l’arête nord – nord-ouest, séparant le Makalu II (ou Kangchungtse – 7 660 m) du Makalu proprement dit. 

La voie est libre pour les Français.

 

La reconnaissance de l’automne 1954

Jean Franco, 40 ans, guide de haute montagne, se voit confier par le Comité de l’Himalaya la responsabilité des deux départs à venir. Il fait appel, entre autres, à Jean Couzy et au guide Lionel Terray, deux vétérans de la victoire à l’Annapurna en 1950. 

Nous sommes à la « belle époque » des expéditions lourdes : 180 porteurs et 6,5 tonnes de matériel à acheminer au camp de base qu’ils atteignent à la fin de la mousson. 

Pour obtenir la meilleure vue possible sur l’ensemble du massif du Makalu, ils gravissent plusieurs sommets à un rythme soutenu, dont le Pethangtse (6 730 m) au nord. Terray  : « La seule possibilité raisonnable consistait à tracer un itinéraire hélicoïdal partant du pied de la face nord-ouest, rejoignant l’arête nord – nord-ouest par la voie vainement tentée par les Néo-Zélandais, puis atteignant la face nord. »

La remontée de la combe nord-ouest du Makalu les mène, en quatre camps successifs, au pied de la partie la plus raide. Ils forcent le passage et atteignent le Makalu La (7 400 m) où ils établissent le camp V. Au départ de ce camp, ils réalisent alors la première ascension du Makalu II, à l'extrémité de l’arête nord – nord-ouest. Cela leur permet d'observer avec suffisamment de recul le versant nord de la pyramide sommitale du Makalu. Mais le haut de l’itinéraire n’est toujours pas visible. 

L’itinéraire de 1955, versant nord-ouest
L’itinéraire de 1955, versant nord-ouest © summitclub.com

 

Chomo Lonzo : la tragédie évitée de peu

Malgré des vents à plus de 100 kilomètres/heure, Couzy et Terray descendent deux cents mètres sur le versant opposé du col et remontent l’arête neigeuse facile qui les conduit au sommet du Chomo Lonzo (7 797 m). Cette fois, voilà la vue dégagée sur l’ensemble du versant nord du Makalu : pas de doute, la voie vers le sommet, évidente, s’offre à leurs yeux. Pour remonter au col, ils frôlent la catastrophe. Le vent a renversé puis recouvert les deux bouteilles d’oxygène de secours déposées à l’aller. Couzy veut continuer, mais Terray, à bout de forces, s’obstine à chercher les bouteilles. Dans le froid et le vent glacial, premier coup de pouce de Mahakala : Terray finit par retrouver les bouteilles. Sauvés !

Le guide Lionel Terray
Le guide Lionel Terray, une résistance à toute épreuve 

 

L’expédition du printemps 1955

Huit grimpeurs, un médecin, deux géologues. Voilà pour le casting, alpin et scientifique. 

Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation où tout est facile, il faut avoir lu l’excellent récit de Jean Franco pour prendre toute la mesure des difficultés rencontrées en cette époque lointaine. 

 

Il faut passer sous les fourches caudines de la douane

Ce ne sont plus 6,5 tonnes de matériel cette fois qu’il faut acheminer au Népal, via Calcutta, mais 11 tonnes ! Le récit (plein d’humour) des péripéties douanières, dans l’Inde postcoloniale, par 40 °C de chaleur humide dans des locaux où les puissants ventilateurs s’acharnent à faire s’envoler le moindre document, s’avère digne d’un roman de Kafka. Le matériel, pour le moins hétéroclite, peut surprendre : outre l’équipement classique d’alpinisme, ils emportent de lourds postes émetteurs-récepteurs, des bouteilles de gaz comprimé pour le chauffage, et cerise sur le gâteau, des armes et des munitions (les exploits cynégétiques de Franco amélioreront significativement l’ordinaire). Largement de quoi justifier la méfiance des autorités locales !

Dès les premiers jours, sur les onze membres que compte le groupe, trois vont devoir rester en arrière. Jean Couzy d’abord, à Calcutta. André Vialatte, à peine arrivé à Biratnagar (Népal), devra retourner à  Calcutta. Serge Coupé devra patienter, lui, à Dharan (Népal).

 

La course à l’oxygène

Les bouteilles d’oxygène prévues en abondance, refusées par Air France, voyagent par mer. Mais le capitaine du cargo change de route et fait halte pour une durée indéterminée à Rangoon, alors capitale de la Birmanie ! Finalement, Couzy part à Rangoon en avion pour récupérer la précieuse cargaison et la ramener, toujours par la voie des airs (les compagnies aériennes opérant en Asie à l’époque, s’avèrent moins pointilleuses qu’Air France) jusqu’à Calcutta, puis à Biratnagar au Népal. Il lui faudra ensuite rejoindre, à Dharan, Serge Coupé qui a la charge de faire patienter les 55 porteurs nécessaires au transport des bouteilles d’oxygène.

 

Où est l’argent ?

À l’arrivée des trois vols Indian airlines affrétés pour le parcours Calcutta-Biratnagar, il manque une des malles de Franco contenant entièrement, nous dit-il, « le trésor de l’expédition, tout notre argent liquide transformé en roupies et petites coupures » ! Cette fois, Vialatte s’y colle et retourne à Calcutta, où la précieuse malle finit par être retrouvée… dans une cache secrète de l’un des avions ayant transporté le groupe. 

 

24 jours de trek

Malgré tous ces contretemps, la marche d’approche commence. Une piste défoncée mène de Biratnagar à Dharan. Pas moins de 350 porteurs et 25 Sherpas venus de Darjeeling prennent ensuite la relève pour parcourir les chemins le long de la rivière Arun, jusqu’au dernier village : Seduwa. Au-delà, un univers minéral les attend. Après 24 jours de marche, début avril, ils prennent leurs quartiers au camp de base à 4 700 mètres d’altitude. 

 

Une organisation parfaite

Très vite, les portages s’organisent. Camp I à 5 300 mètres sur la moraine du glacier de Barun, au pied de l’impressionnant pilier ouest du Makalu. Camp II à 5 800 mètres dans la combe nord-ouest, et le 2 mai, le camp III, à 6 400 mètres au sommet de la combe. Ils vont en faire leur camp de base avancé. Une longue traversée en écharpe vers la droite les amène au pied du passage le plus difficile, le couloir mixte qui donne accès au col. Camp IV à 7 000 mètres. Rude bataille pour remonter le couloir et installer les cordes fixes indispensables. Enfin, les voici au Makalu La, où le camp V est installé à 7 400 mètres d’altitude. Ils sont au plus haut point atteint lors de la reconnaissance de 1954. Le temps jusqu’ici instable, avec des chutes de neige et du vent tous les après-midi, vire au grand beau. Chance exceptionnelle, il va le rester pendant les deux semaines suivantes. 

 

Le bridge le plus haut du monde

Le 12 mai, hormis Couzy et Terray, cordée de pointe déjà au camp IV, toute l’équipe est réunie au camp III. Même André Lapras, le médecin, néophyte en altitude, est présent. L’aménagement confortable leur donne l’assurance du succès : ils peuvent tenir quel que soit le temps. L’ambiance, au beau fixe, les incite à une ultime partie de cartes : ils jouent au bridge ! 

Le 14 mai, Guido Magnone et Jean Franco montent au camp IV. Le même jour, Jean Couzy et Lionel Terray quittent le camp V et se lancent avec cinq Sherpas dans la face nord. Camp VI à 7 800 mètres. Les Sherpas redescendent. Les autres grimpeurs suivent à un jour d’intervalle. 

Lionel Terray
La face nord © Lionel Terray

 

Gloire aux Sherpas : « ce sont les vrais hommes des neiges »

Si les Sherpas ont régulièrement été remerciés par les différents auteurs de cette époque, Jean Franco leur adresse un véritable panégyrique. Franco : « Si le camp VI est monté ici, c’est grâce à vous. Et si aujourd’hui et demain, les sahibs montent sur le Makalu, c’est aussi grâce à vous. Vous pouvez être fiers d’avoir monté des charges jusqu’à 26 000 pieds. » Il n’aura de cesse, tout au long de son récit, de mettre en avant leurs qualités : courage, résistance, abnégation, humour et, last but not least, leur sens du service« Ce sont les vrais hommes des neiges. Voilà un mois qu’ils œuvrent pour nous, insensibles aux intempéries, donnant le meilleur d’eux-mêmes, prêts à tous les dévouements, sans jamais se plaindre, poussant au-delà des limites habituelles leur capacité de résistance, dans le seul dessein d’accomplir la mission qui leur est confiée, sans autre ambition. Notre joie est la leur. Leur rôle s’arrête lorsqu’il n’y a plus rien à porter, ce qui, dans l’Himalaya, signifie que le but est proche. Et alors, ils redescendent, heureux, en chantant. Quelle magnifique leçon ! ». 

les Sherpas indispensables compagnons
Les Sherpas, indispensables compagnons, photo extraite du livre Makalu © Jean Franco

 

15, 16 et 17 mai : le sommet pour tous

15 mai 1955 au matin, –32° dans les tentes. L’oxygène, utilisé sans compter, y compris la nuit, leur accorde un repos réparateur. Réveil à 5 h 30. Grand beau, pas de vent. Au meilleur de leur forme, Jean et Lionel gravissent d’un pas régulier les six cent quatre-vingt-cinq mètres qui les séparent encore du sommet. Une ultime barrière de séracs à négocier et une longue écharpe de neige ascendante les mène au pied de l’éperon final en mixte, à 8 200 mètres. Une heure pour le remonter, quarante-cinq minutes de progression facile sur l’arête de neige sommitale… Ils y sont. Couzy : « Le sommet est extraordinaire. C’est la cime de neige la plus aiguë que j’aie jamais vue. Comme la pointe d’un crayon. L’arête de neige qui y conduit est très fine. »

Jean couzy
Jean Couzy au sommet du Makalu, 15 mai 1955 © Lionel Terray

Le 16 mai, c’est au tour de Jean Franco, de Guido Magnone (bricoleur de génie, il a souvent dépanné les inhalateurs à oxygène) et du sirdar Gyaltsen Norbu, de se dresser sur la cime. Et pour clore en beauté, le 17 mai, Jean Bouvier, Serge Coupé, Pierre Leroux et André Vialatte leur succèdent. Depuis les débuts de l’himalayisme, c’est la première et la seule expédition à voir tous ses participants parvenir au sommet. Un coup de maître. 

l’équipe au grand complet
L’équipe au grand complet. Debout, de gauche à droite : Lionel Terray, Jean Bouvier, Pierre Leroux, André Vialatte, Guido Magnone, Michel Latreille, André Lapras, l’abbé Pierre Bordet. Accroupis, de gauche à droite : Jean Couzy, Serge Coupé, Jean Franco.

 

Appendicite à 5 000 mètres

Mais l’exploit ne s’arrête pas là. De retour au camp de base, Sona, l’un des Sherpas de Darjeeling, est malade. Contractures, nausées, vomissements… Diagnostic : appendicite aiguë. Le docteur Lapras aimerait se tromper. Vingt-quatre heures plus tard, il n’a plus le choix : il faut opérer. Minuit. Trois tables de camping en aluminium, ficelées, deviennent la table d’opération. Pour anesthésiant, de l’éther. Franco, Bouvier, Coupé et Leroux s’improvisent assistants du chirurgien. Gyalzen, le sirdar, sert d’interprète pour Sona. Franco : « Gyalzen est vert d’émotion, prêt à défaillir, lui, l’homme du mont Api qui a porté un jour son sahib agonisant sur les neiges de l’arête sommitale à 7 000 mètres. Il nous demande de le laisser sortir. » Il est quatre heures du matin lorsque le docteur sert la dernière agrafe. Sona vivra. 

 

Terray et Magnone : retour par le chemin des écoliers ! 

Modestie oblige, Lionel Terray, dans sa remarquable autobiographie, Les conquérants de l'inutile, nous décrit en quelques lignes son retour avec Guido Magnone, par le chemin des écoliers. En pleine forme à la descente du Makalu, cinéastes amateurs lors de l’expédition, Lionel Terray et Guido Magnone, avides de découvrir le Solo Khumbu, obtiennent l’autorisation de Franco de se séparer du groupe. 

Avec quelques porteurs, en trois jours de marche, ils arrivent à Namche Bazar. Terray : « Pendant deux jours, ce ne furent que chants, danses et fraternelles libations de bière de millet et de thé au beurre. » De grandes fêtes religieuses devant se tenir à la gompa de Thame, ils filent au monastère pour y découvrir les insolites danses religieuses tantriques. Mais il faut rentrer. Terray, toujours : « un invraisemblable chemin, franchissant un col à plus de 6 000 mètres » et une semaine de marche forcée les conduisent à Kathmandu. Bien qu’aucun col ne soit cité, les voyageurs avertis auront facilement reconnu le parcours : Sherpani col, West col, Amphu Laptsa, Namche Bazar, Thame, Teshi Laptsa, Kathmandu ! 

Qui dit mieux ? 

 

Rejoignez-nous en avril 2022 pour une aventure extraordinaire au Makalu 

Nous sommes guidés en petit groupe par Serge Bazin, guide de haute montagne français qui connait bien le Makalu pour l'avoir déjà atteint à 8 485 mètres. L’approche se fait en 11 jours de trekking via la Shipton’s trail. Vient ensuite l’ascension proprement dite, réalisée en quatre camps. La principale difficulté du parcours se trouve entre les camps II (6 600 m) et III (7 500 m). Un long éperon en terrain mixte, sans aucune possibilité d’établir un camp intermédiaire, nécessite une excellente condition physique et la capacité à descendre en rappel. Un sommet de grande envergure, réservé à des alpinistes expérimentés.

Plus de détails sur notre ascension au Makalu guidée par Serge Bazin.

Et découvrez ci-dessous une animation présentant l'ascension du Makalu :

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