02 mai 2023Himalaya, Alpinisme, Quatorze 8000
Trek sur les pentes du Manaslu

9 mai 1956, 12h30 : le sirdar népalais Gyalzen Norbu (37 ans) et l’himalayiste japonais Toshio Imanishi (41 ans), se dressent sur l’étroite pyramide sommitale rocheuse du Manaslu (8 156 m). Pour la première fois, le sommet du Manaslu est foulé par l'Homme. Il aura fallu plusieurs tentatives pour réussir à gravir le huitième plus haut sommet du monde qui, aujourd'hui encore, reste une ascension mythique dans une vie d'alpiniste. Notre collaborateur et ami Didier Mille, guide de haute montagne, revient sur cette épopée hors du commun.


Manaslu, une victoire asiatique

9 mai 1956, 12h30 : le sirdar népalais Gyalzen Norbu (37 ans) et l’himalayiste japonais Toshio Imanishi (41 ans), se dressent sur l’étroite pyramide sommitale rocheuse du Manaslu (8 156 m), huitième plus haut sommet de la planète. Le Japon entre dans le cénacle des nations, jusque-là toutes occidentales, à gravir la cime d’un plus de 8 000 vierge de toute ascension. Une victoire symbolique, permettant au « pays du soleil levant » de redresser fièrement la tête !

Consécration pour Gyalzen Norbu : le 16 mai 1955, soit un an plus tôt, il foulait la cime du Makalu (8 463 m) en compagnie de Jean Franco et Guido Magnone, le lendemain de l’ascension victorieuse de Lionel Terray et Jean Couzy. Deux 8 000  en 12 mois à son actif confèrent à Gyalzen, probablement, le record de l’époque.

Cinq expéditions successives, toutes patronnées par le grand groupe de presse national Mainichi et organisées dans le cadre du Japanese Alpine Club de Kyoto, ont contribué à la réussite.


Images d'archives


Les prémices...

1951 : l’explorateur et himalayiste anglais Bill Tilman redescend d’une tentative à l’Annapurna IV. Il en profite pour explorer la haute vallée de la Dudh Khola. Il rapporte un cliché du Manaslu : un itinéraire d’accès par la face ouest semble possible.


Les premières tentatives...

1952 : munie de la photo prise par Bill Tilman, une première expédition japonaise explore le versant ouest. Conclusion : infranchissable. L’équipe remonte alors la Dudh Khola, traverse le Larkye Pass et descend jusqu’à Sama, premier gros village, en descendant du col, dans la vallée de la Buri Gandaki. Un glacier provenant de ce qui semble être le plateau sommital du Manaslu, serait la clef de l’ascension. Retour vers Kathmandu par la Buri Gandaki : le premier tour du Manaslu vient d’être accompli, à l’opposé du sens actuel.

village de sama
 Le village de Sama © David Ducoin


1953 : première expédition sérieuse

Forte de 15 membres et 2 scientifiques, elle manque de peu la victoire. Pas moins de neuf camps s’échelonnent sur la montagne, le dernier à 7 500 mètres. N’ayant pas d’appareils à oxygène, les grimpeurs, à la limite de leurs forces, renoncent à 7 750 mètres d’altitude, 375 mètres sous le sommet, un bel exploit. Mais la déesse de la montagne s’émeut de cette presque réussite : de colère, elle déclenche une avalanche qui détruit la gompa (monastère) de Sama, ultime village au pied du géant himalayen et passage incontournable vers le camp de base.

1954 : confortés par les expériences précédentes, les Japonais voient la victoire se profiler. Les 14 membres réunis, dont plusieurs ont participé à la tentative de l’année précédente, reviennent gonflés à bloc. Las ! À Sama, la rencontre, d’abord houleuse avec les villageois, manque tourner au pugilat. Pas question de profaner une seconde fois la montagne, au risque de déclencher à nouveau la colère de Kantung, la déesse protectrice. Toute tentative de négocier s’avérant vaine, le groupe au complet se tourne vers le Ganesh Himal (actuel trek de la vallée de Tsum).  Mais ils échouent à trouver un itinéraire d’accès au sommet et rentrent bredouilles.

1955 : le Japanese Alpine Club envoie deux membres éminents auprès du gouvernement népalais pour négocier avec les habitants de Sama. Mais les autorités ont peu de prises sur le village, fort éloigné de la capitale. Depuis des siècles, les caravanes de sel venues du proche Tibet, viennent à Sama échanger sel contre riz. Le « Subbah » commerçant incontournable pour les échanges entre les « Bothias » de Sama et les hindouistes de Kathmandu se charge de la négociation. Grâce à ses talents, il obtient l’accord des habitants de Sama : ils laisseront passer la prochaine expédition ! À l’automne 1955, trois alpinistes viennent reconnaître l’accès au plateau sommital, confirmant ainsi l’itinéraire à suivre. Fidèles à leurs engagements, les villageois autorisent leur passage.

manaslu
Larkye Pass (5 135 m) © David Ducoin


En route pour la gloire !

1956 : les 12 membres de l’expédition, accompagnés de 20 Sherpas embauchés par Gyalzen Norbu, partent le 11 mars de Kathmandu. Ils atteignent Sama le 26 mars, clef de l’accès au camp de base. Instant crucial. Les villageois laisseront-ils passer ces étrangers par lesquels le malheur a déjà frappé ? Finalement tout se passe bien, à condition d’embaucher des gens du village comme porteurs jusqu’au camp de base.

L’expédition, menée par le plus célèbre alpiniste japonais de l’époque, Yuko Maki (62 ans) va rentrer dans l’histoire. Yuko a un beau palmarès à son actif. Première de l’ascension de l’Eiger par l’arête est (Mittellegi) en 1921, première ascension du Mont Alberta dans les Rocheuses en 1924 et le Cervin en 1926. Fort de ses expériences passées, Yuko Maki envisage de réduire le nombre de camps : six devraient suffire. Lui-même ira jusqu’au camp II (5 600m) d’où il coordonnera l’assaut final. Autre élément essentiel de l’expédition : le développement de l’équipement d’oxygène mis au point par le Dr. Hirokichi Tatsunuma, membre des deux expéditions de 1952 et 53. Une génératrice, portée jusqu’au camp V à 7 160 mètres d’altitude, fournit l’oxygène pour la nuit et pour toutes les tentes. Le Dr. Tatsunama, malgré l’altitude, s’active et prépare huit équipements complets, chacun constitué de trois cylindres d’oxygène.

Le 8 mai, l’infatigable Junjiro Muraki (32 ans, membre des deux premières expéditions),et cinq Sherpas lourdement chargés se mettent en route. Objectif : installer le camp VI à 7 800 mètres d’altitude. Toshio Imanishi et le sirdar Gyalzen Norbu suivent plus tard dans la journée, économisant leurs forces en vue du lendemain. À 13 h 30, ils rejoignent leurs coéquipiers sur le plateau sommital où ces derniers dressent le camp VI. Muraki et les Sherpas redescendent au camp V. Imanishi et Gyalzen demeurent seuls pour la veillée d’armes.

9 mai 1956, camp VI, 7 800 m, – 22° : un ciel sans nuages, et surtout sans vent, se montre de bon augure. Réveil à 5 h 30, départ à 8 heures. À cette altitude, faire fondre la neige pour l’ultime petit-déjeuner prend du temps… Imanishi et Gyalzen s’ébranlent lentement : les sacs pèsent 20 kg ! Trois bouteilles d’oxygène, vestes en duvet, un peu de nourriture, quelques pitons en prévision de passages rocheux et surtout trois caméras et appareils photos différents avec leurs pellicules. Immortaliser la victoire a autant d’importance que la réussite elle-même.

11 heures, 7 925 mètres : une fois le plateau sommital traversé, vingt mètres plus raides nécessitent de tailler des marches. Exercice éprouvant à cette altitude, aggravé par le poids du sac. Les deux alpinistes se relaient à la taille. Ils remontent ensuite une arête ourlée d’une corniche traîtresse, se croient arrivés… Mais la petite pyramide rocheuse sommitale semble les narguer. Il leur faut descendre dix mètres dans un couloir, planter un piton pour s’assurer et gravir péniblement les derniers mètres de rochers brisés.

12 h 30, 8 156 mètres : victoire !

Larkye pass (5135 m), Manaslu round
Larkye Pass (5135 m), Manaslu Round © David Ducoin


Quinze ans après 

Après cette ascension homérique, le Manaslu retombe dans sa solitude immémoriale, pour la plus grande joie des Bothias de Sama. Il faut attendre 1971 pour qu’une nouvelle expédition, encore une fois menée par des Japonais, s’attaque à l’éperon nord-ouest. Itinéraire de grande difficulté, comportant, entre les camps III et IV, un ressaut rocheux haut de 250 mètres. Certains passages d’escalade, côtés VI et A2, repoussent alors les limites de l’escalade en haute altitude. Sommet le 17 mai pour deux membres de l’expédition.

Tragédie 
En 1972, une équipe italo-autrichienne se lance dans les pentes du difficile pilier sud. Reinhold Messner, déjà célèbre, réalise alors la troisième ascension du Manaslu et la première en solitaire. Malheureusement, à la descente depuis le camp IV (7 800 m), deux membres de l’expédition disparaissent dans la tempête.

Première féminine 
Les alpinistes japonaises s’illustrent à leur tour en 1974. Première ascension, par une équipe féminine, d’un plus de 8 000. Elles ont suivi l’itinéraire original, ouvert en 1956.

Les Français aussi 
À l’automne 1981, des alpinistes français font irruption sur le terrain de jeu nippon.

Pierre Béghin, le guide Bernard Muller et deux alpinistes grenoblois, Gérard Bretin et Dominique Chaix, se lancent dans un projet ambitieux : la face ouest du Manaslu, sans oxygène. Paroi jugée infranchissable par l’expédition de 1952. Munis en tout et pour tout d’une photo du versant ouest, ils s’apprêtent à relever le défi. L’itinéraire : en plein milieu de la face, seul endroit plus ou moins « oublié » par les avalanches. Les difficultés s’annoncent nombreuses. Le 7 octobre, après avoir bivouaqué à 7 400 mètres d’altitude, Pierre et Bernard parviennent au sommet, réalisant ainsi leur premier 8 000.
 

BONUS : DÉCOUVREZ LE FILM DE L'ASCENSION
Il s'agit d'un site japonais sans traduction anglaise, mais vous y trouverez de belles images d'archive inédites.

carte Manaslu japonais


À votre tour ?

Si vous entreprenez l’ascension du Manaslu, organisée au printemps 2021 par Expeditions-Unlimited, ne soyez pas étonnés du nombre de Japonais rencontrés. À chaque nation, sa montagne fétiche. Annapurna aux Français, Everest aux Britanniques, Nanga Parbat aux Allemands… et Manaslu aux Japonais.

En savoir plus sur l'Ascension du Manaslu à 8 156 m avec Paulo Grobel.


Pic Samdo et Pangbuche Himal depuis le village Samdo © David Ducoin



Sources bibliographiques :

  • Grande Encyclopédie de la montagne (éditions Atlas 1978)
  • The Himalayan Journal vol 20
  • Nepal, Himalaya - HW Tillman, 1950
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