21 juin 2021Himalaya, Alpinisme, Quatorze 8000
L'expédition au Karakoram de 1954

Depuis que les premiers alpinistes ont jeté les yeux sur la cime altière du K2, la montagne fascine. Par sa forme d’abord, pyramide presque parfaite, deux Cervins empilés l’un sur l’autre. Par ses difficultés ensuite : la verticalité y règne en maître absolu. Seuls les meilleurs peuvent prétendre à son ascension. 1902 a vu la première tentative, par Aleister Crowley et le Dr Jules-Jacot Guillarmod. 119 ans plus tard, le 19 janvier 2021, le Népalais Nims Dai réussit la première hivernale. Et “Sans Ox” s’il-vous-plait ! Neuf autres Népalais réussissent à ses côtés. 119 ans de luttes, de tragédies, d’exploits en tous genres. Nous vous faisons revivre un florilège de quelques morceaux de bravoure.

 

Conway et Eckenstein, les précurseurs

Nous avons déjà raconté la découverte du K2 par le lieutenant Thomas George Montgomerie en 1856 et la mesure de son altitude par le lieutenant Henry Haversham Godwin Austen en 1860. Puis l’arrivée des premiers alpinistes, Sir Martin Conway accompagné d’un certain Oscar Eckenstein, grand coureur de cimes dans les Alpes. 

 

Magie noire sur les pentes du K2

Mais l’histoire débute vraiment en 1902. Une expédition disparate, menée par… Oscar Eckenstein, envisage sérieusement de s’attaquer au K2. Lors d'un voyage au Mexique en 1900, Eckenstein fait la connaissance d’un hurluberlu haut en couleur : Aleister Crowley, alpiniste, poète, franc-maçon, héroïnomane, occultiste, mage, voire adepte de magie noire… Six alpinistes au total, dont le docteur Jules Jacot-Guillarmod, médecin suisse. Eckenstein malade, Crowley (1) se lance avec Jules Jacot-Guillarmod à l’assaut de l’arête nord-est. Ils atteignent l’altitude de 6 600 mètres. On doit au Dr Jacot-Guillarmod les premières photos exceptionnelles du glacier du Baltoro.

Le camp de base de 1902
Le camp de base de 1902 © Jules Jacot-Guillarmod

 

1909 : le duc des Abruzzes montre le chemin

Le prince Louis Amédée de Savoie, duc des Abruzzes, ne se contente pas du luxe de la cour. En 1897, il s’offre la première du mont Saint-Elias (5 589 m) en Alaska. En 1906, une expédition polaire en direction du pôle Nord lui coûte deux doigts, amputés en raison de gelures. En 1906, il gravit 16 sommets dans la chaîne des monts Ruwenzori (l’actuel Ouganda, à l’époque du protectorat britannique). Pour finir, en 1909, il se lance à l’assaut du K2. Le choix de l’itinéraire se porte sur l’arête sud-est, qui semble être la plus directe vers le sommet. Très vite, les pentes excessivement raides et les passages en rocher arrêtent la progression, à 6 250 mètres, un peu au-dessus du camp I actuel. Mais le nom de la voie est immortalisé : l’arête des Abruzzes. 

Le K2 vu du camp de base en 1909
Le K2 vu du camp de base en 1909 © Vittorio Sella

 

1929 : les premiers pas d’Ardito Desio

Les têtes couronnées de l’époque n’ont pas froid aux yeux. Vingt ans après son oncle Louis Amédée de Savoie, le prince Aimone, duc d’Aoste et de Spolete, lance une campagne d’exploration dans le Karakoram. Ardito Desio (32 ans), professeur émérite de géographie et de géologie, en fait partie. Vivement impressionné par le K2, il se jure de revenir : le sommet sera italien. 

 

Les trois premières tentatives sérieuses : toutes américaines

1938 : Bill House, l’homme de la cheminée

Ce sont les Américains qui vont se battre le plus longtemps pour réussir. En 1938, Charles Houston ouvre le bal. Reprenant l’itinéraire de l’arête sud-est, ouvert par le duc des Abruzzes, mieux équipés, les alpinistes progressent jusqu’au pied d’une cheminée de trente-cinq mètres qui présente l’une des plus difficiles longueurs de corde jamais réalisée à une telle altitude. Bill House (24 ans) encordé avec Robert Bates, surmonte le passage, désormais éponyme : « la cheminée House ». Plus loin, dans les pentes au-dessus de la « Pyramide noire » un terrain mixte, difficile, attend les alpinistes. Après une ultime tentative à 7 800 mètres, Houston et Petzoldt font demi-tour, épuisés, craignant l’arrivée du mauvais temps… qui ne viendra pas. Première occasion manquée ? 

 

1939 : les regrets éternels de Fritz Wiessner 

De toutes les expéditions, la plus proche de réussir, et sans oxygène, est celle de 1939. Avec la cordée de Fritz Wiessner, Allemand naturalisé Américain, et du Sherpa Pasang Lama. Ils ont tout franchi : la cheminée House, la Pyramide Noire… Le 19 juillet, bien au-delà du camp IX (7 940 m), ils s’élèvent à 8 365 mètres, sans oxygène, ni postes de radio. Pour atteindre l’arête sommitale, il leur reste moins de dix mètres à gravir, en traversée, sur quelques rochers verglacés. La nuit tombe, pas de vent, pleine lune. Le sommet est là, à toucher du doigt. Mais les Sherpas craignent les démons de la nuit. 

Bottlenec
Le plus haut point atteint par Wiessner et Pasang Lama, probablement à gauche du « Bottleneck »,
passage clef qui mène, aujourd’hui, vers le sommet. © Unknown

Compréhensif, Wiessner cède, ils reviendront demain… Erreur fatale. Épuisés par l’altitude (ils viennent de passer quatre nuits à 7 600 mètres, sans apport d’oxygène), ils se replient. Pasang Lama perd ses crampons : il ne pourra pas remonter. La suite tourne à la tragédie. Avec Pasang Lama et Dudley Wolfe (2), monté au camp VIII, seul alpiniste encore vaillant, ils entament la longue descente vers le camp de base. Par manque de communication (cruelle absence de postes de radio), et croyant les alpinistes morts, tous les camps intermédiaires ont été vidés : plus de sacs de couchage, plus de réchauds, plus de vivres.  Impossible de s’arrêter. Wolfe, suite à une chute malencontreuse, doit rester au camp VII (7 500 m). Il n’en descendra plus. Malgré la tentative de sauvetage héroïque de trois hommes, remontés depuis le camp de base pour lui porter secours. Les Sherpas Pasang Kikuli, Pinsoo et Kitar vont, avec Dudley Wolfe, être les quatre premières victimes du K2. Wiessner regrettera toute sa vie d'avoir cédé à Pasang Lama. 

 

1953 : Charles Houston, « la montagne Sauvage »

En 1936, à la Nanda Devi, une intoxication alimentaire l’a contraint à l’abandon depuis le dernier camp. En 1938, le K2 aussi lui a échappé. Après Bill House, Wiessner a prouvé que le sommet était à portée de main. Mais au K2, le courage, le talent et l’abnégation ne suffisent pas. Il faut aussi de la chance. La météorologie est plus instable qu’au Tibet. Et les routeurs météo n’existent pas encore. 

Charles Houston-Robert Bates 
Le téléphérique installé pour monter les charges dans la cheminée House © Charles Houston-Robert Bates 

Une tempête,comme seul le K2 en connaît, va clouer les grimpeurs américains pendant 10 nuits au camp VIII, début août, à 7 800 mètres d’altitude. Ils sont huit alpinistes, sans Sherpas (le Pakistan, jaloux de ses prérogatives, leur refuse l’accès), agglutinés dans deux petites tentes. L’un d’eux, Art Gilkey (27 ans), atteint d’une thrombo-phlébite, doit être évacué de toute urgence : une embolie, à cette altitude, serait fatale. Ses compagnons tentent l’impossible. Ils le placent dans un traîneau de fortune, et le descendent à bout de corde. Une avalanche manque d’abord d'embarquer toute l’équipe. Un peu plus tard, l’un d’eux chute et entraîne ses compagnons de cordée dans le vide. In extrémis, Pete Schoening (26 ans), le plus jeune du groupe, enraye la chute des cinq autres. Bates : « Trois cordes séparées s’embrouillant pour sauver la vie de cinq hommes. » 

Sauvés ? Art Gilkey, immobilisé sur son traîneau, pendant que les autres installent un camp de fortune, disparaît, probablement embarqué par une coulée de neige. Houston écrira : « C'est en dépassant ses forces d’endurance que l’homme apprend à se connaître. » 

Le récit de l’expédition par Robert Bates et Charles Houston, The savage mountain, prendra, pour le monde anglo-saxon, l’ampleur du livre de Maurice Herzog en France : Annapurna, premier 8 000. 

Au pied du K2 se dresse dorénavant le mémorial Art Gilkey. La liste des alpinistes, morts sur le second sommet de la Terre, y est longue.

 

1954 : victoire italienne, entre gloire et trahison

De toutes les grandes premières sur l’un des quatorze huit mille, aucune n’a soulevé autant de controverses durables. Sauf la victoire sur le K2. Les Anglais ont gravi l’Everest en mai 1953. Les Allemands se sont octroyés le Nanga Parbat en juillet de la même année. L’expédition américaine désastreuse de août 1953 a coupé les ailes de l’Oncle Sam. Qui vaincra le K2 ? 

1954. L’Italie, à la sortie de l’ère mussolinienne, a besoin de redorer son blason sur la scène internationale. 

Le professeur Ardito Desio, maintenant âgé de 57 ans, rêve toujours d’offrir cette victoire à son pays. Alors, se met en place une expédition conséquente, sous l’égide du Club Alpin Italien et le regard bienveillant de l'État transalpin. Onze grimpeurs, sans aucune expérience de l’Himalaya, se trouvent réunis. Parmi eux, le plus jeune, le fringant Walter Bonatti (24 ans) étoile montante de l’alpinisme, et deux autres brillants grimpeurs : Lino Lacedelli (29 ans) et Achille Compagnoni (40 ans). Ardito Desio, conçoit le projet comme une expédition militaire, totalement subordonnée aux décisions du « chef ». Excellent organisateur, il n’est pas alpiniste. La gouvernance, dans les camps d'altitude, passe par des « notes de service » ! Mais rien n’est laissé au hasard, en particulier l’approvisionnement en bouteilles d’oxygène, jugées indispensables à la réussite.

L’équipe au complet au camp de base
L’équipe au complet au camp de base © Unknow

Huit camps sont installés. Du camp VIII, installé à 8 000 mètres, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli doivent partir établir un ultime camp IX, avant de s’élancer vers le sommet. Walter Bonatti, le plus en forme du groupe, et Amir Mahdi, un robuste porteur pakistanais, se chargent d’un long portage entre le camp VIII et le camp IX pour apporter l’oxygène indispensable à la victoire. Mais les deux futurs vainqueurs ont certainement en mémoire l’exploit solitaire de Hermann Buhl au Nanga Parbat, l’année précédente. Refusant d’obéir au leader, il a réussi seul et sans oxygène. Bonatti pourrait-il faire de même et leur voler la vedette ? 

Pour ne courir aucun risque, ils vont installer le camp IX plus haut que prévu, après une barrière de dalles verglacées, infranchissables de nuit. Bonatti et Mahdi montent laborieusement. Jamais ils n’atteindront le camp. Lacedelli, au cours d’un bref échange verbal, demande à Bonatti de déposer les bouteilles et de redescendre au camp VIII. Trop tard, il fait nuit. Ils n’ont pas de tente, pas de duvet, pas de réchaud. 

Bonatti n’a d’autre alternative que de creuser une minuscule plate-forme dans la pente très raide et d’y attendre le jour. Mahdi perd à moitié l’esprit. Miraculeusement, les deux survivent, Madhi avec de graves gelures, Bonatti marqué à vie psychologiquement. Bonatti : « Cette nuit-là, j’aurais dû mourir. » Le lendemain, Compagnoni et Lacedelli descendent chercher les bouteilles puis montent au sommet, grâce à l’oxygène. L’histoire officielle veut que les bouteilles aient été épuisées dans les cinq cent derniers mètres de dénivelé avant le sommet. Le K2 a été gravi « sans oxygène » ! 

Achille Compagnoni au sommet du K2 Walter Bonatti à son retour du K2
 À gauche. Achille Compagnoni au sommet du K2 © Lino Lacedelli 
À droite. Walter Bonatti à son retour du K2 © Walter Bonatti
 

L’affaire Bonatti

L’histoire en elle-même n’est déjà guère reluisante. De retour au camp de base, des excuses auprès de Bonatti auraient peut-être suffi à ne pas ternir la gloire des vainqueurs. Mais le pire était à venir : Bonatti découvre, dans un article de journal à sensation, que Compagnoni déroule un tissu de mensonges. Les deux vainqueurs seraient arrivés au sommet sans oxygène, les bouteilles ayant été, selon lui, partiellement utilisées dans la nuit par Bonatti et Mahdi, pendant le bivouac. Problème : Bonatti et Mahdi n’avaient pas de détendeurs. Compagnoni et Lacedelli étaient les seuls à en avoir. À l'infamie, Compagnoni ajoute le mensonge, puis la calomnie.

Va s’ensuivre une polémique digne des tragédies antiques. Le CAI (Club Alpin Italien) n’acceptera de revoir la version officielle qu’en 2004, après le décès du professeur Desio (2001).  Quant aux vainqueurs, ils seront couverts d’éloges. Nécessité d’État vaux mieux que bon droit. 

 

16 janvier 2021, 15 heures : première hivernale du K2 pour les Népalais, une belle histoire collective

À l’opposé de cette triste aventure, où les ego personnels l’ont largement emporté, la première hivernale, accomplie par dix himalayistes Népalais, marquera aussi l’histoire. Deux équipes, qui auraient pu être totalement concurrentes, ont uni leurs forces sur la montagne pour venir à bout de l’ultime défi : le K2 en hiver. Résultat, dix mètres sous le sommet, les Népalais se sont regroupés pour accomplir les derniers pas ensemble. Parmi eux, Nirma Purja, surnommé « Nims Dai », l’homme des quatorze 8 000 gravis en six mois (et six jours). Ce géant va même aller jusqu’à s’offrir le K2 « sans Ox ».  Une belle leçon d’humilité.
 

Nous vous proposons l'ascension du K2, le graal pour himalayiste très expérimenté

Nous tentons de gravir le K2 “la montagne sauvage”, deuxième plus haut sommet de la terre, aboutissement d’une carrière d’himalayiste. Cette expédition présente tous les aspects d’un challenge ultime. L’altitude, bien sûr, mais surtout la verticalité quasi unique sur une telle montagne et les difficultés techniques. Hormis la montée entre les camps 3 et 4 qui s’effectue sur des pentes que l’on pourrait qualifier de débonnaires, la plupart du temps, vous évoluez entre 40 et 50°, avec de très nombreux passages mixtes de niveau III à IV, ce qui représente une inclinaison considérable, si l’on tient compte de tous les autres facteurs. Trois passages clés jalonnent l’itinéraire et à ces difficultés techniques, vient s’ajouter une météo capricieuse. Tenter l'ascension du K2 nécessite une parfaite maîtrise de soi, ainsi qu’une réelle expérience de la progression, tant à la montée qu’à la descente, le long de cordes fixes. Il faut aussi bien se connaître, savoir jusqu’où pousser ses limites. Car au K2 plus encore qu’ailleurs, atteindre le sommet, c’est couvrir seulement la moitié du chemin.

Expeditions Unlimited vous propose cet objectif exceptionnel, expédition à découvrir ici !

Retrouvez ci-dessous l'itinéraire animé de l'ascension du K2.

 

Textes de Didier Mille;

___

1. Tiré du récit d’Aleister Crowley lui-même. D’autres sources indiquent Wiessely et Jacot-Guillarmod.

2. En 2002, les restes de Dudley Wolfe ont été identifiés à la base du K2, ainsi que des morceaux de sa tente. Les trois Sherpas ont probablement disparu dans la tempête, sans pouvoir l’atteindre.

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